Kevin Meunier et la Tarologie Humaniste

Kevin Meunier semble confirmer qu’aujourd’hui le Tarot s’inscrit au sein d’une multitude de talents et que  le talent n’attend pas le nombre des années!

Loin d’être une simple curiosité de Musée, le Tarot s’articule encore et toujours  de façons variées, vivantes et modernes.
Et si l’on se donne la peine de chercher quelque peu dans une ouverture d’esprit la plus grande qui soit, chacun y trouve son compte.

Le Tarot et son incroyable richesse sans cesse renouvelée permet à tous de se rencontrer et de s’enrichir. Preuve en est faite une fois de plus dans les lignes qui suivent…

Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de « restaurer » le Tarot de Nicolas Conver?
Un fac-similé respectueux de l’original conservé en bibliothèque (contrairement à celui des éditions Héron dont on sait aujourd’hui qu’il n’a pas respecté la taille originale des cartes ni les couleurs) ne pouvait-il être envisagé ?

En réalité, je n’avais pas projeté de restaurer le Tarot de Nicolas Conver. A la mort d’un de mes amis et collègues, Jean-Claude Flornoy, avec qui nous avions longuement échangé au sujet du jeu de Nicolas Conver et de la restauration que lui-même avait faite des arcanes majeurs, j’avais voulu lui rendre hommage en redessinant l’arcane du Bateleur car je voyais en cette carte une grande similitude avec Jean-Claude, tous deux des magiciens à l’art surprenant. Ce n’était donc pas un acte prémédité que de donner naissance à l’intégralité de ce jeu, mais à la suite de la restauration de cette simple carte, j’ai reçu de nombreux commentaires dithyrambiques concernant la qualité du trait et des couleurs. On m’a chaleureusement invité à faire les 21 autres arcanes majeurs… puis les honneurs… puis les numériques… Puis on m’a suggéré de le faire imprimer… puis de le vendre… Et finalement de trouver un éditeur. Comme beaucoup de choses que je fais, c’est un peu arrivé « par accident ». Mais je ne regrette absolument pas ce travail, aussi colossal fut-il (l’intégralité du jeu a été entièrement redessiné par ordinateur, à la souris… Imaginez un peu !)

Donc l’idée de reprendre un fac-similé ne m’est pas venue puisqu’il n’y avait pas de projet d’édition ou d’impression derrière cette simple restauration qui, à la base, était davantage de l’ordre de l’hommage que du véritable projet artistique. Ceci étant dit, au regard des nombreuses versions que j’ai pu voir du Nicolas Conver, les qualités des jeux qui nous restent à ce jour sont relativement piètres et je crois qu’il n’était pas superfétatoire de redorer l’image de ce jeu, ce que j’ai tenté de faire avec le plus grand des respects, eut égard aux différences de tracé et de couleurs existant dans chaque version que j’ai pu trouver et au travers desquelles il m’aura fallu trancher.

Ce Tarot semble le plus repris ces dernières années…
Une simple question de facilité (droits tombés dans le domaine public), une tentation de l’ego (« Tarot « restauré » par…x ou y ») ou ce jeu a-t-il réellement, selon vous, quelque chose de spécial ?

« Les deux mon capitaine » je dirais. Tout d’abord, le Nicolas Conver a cela de pratique qu’il fait à présent partie du domaine public. Ensuite, beaucoup de cartiers ont l’envie de voguer sur les noms de créateurs plus anciens car cela confère à l’objet du délit une aura plus mystique, ou simplement une sorte d’accréditation, aussi surfaite soit-elle.

Pour ma part, comme je l’ai déjà dit, il n’était pas dans mon projet initial de restaurer ce jeu de tarot. Uniquement de rendre hommage à un homme qui était cher au monde du tarot et qui a disparu, laissant son œuvre inachevée.

Cependant, je dois admettre la chose suivante : de tous les jeux de tarots de type « Marseille » que j’ai pu voir, le Nicolas Conver a cela de particulier que son tracé est spécifiquement bien conservé, tout en présentant une simplicité du dessin et de la composition graphique (absente des tarots actuels qui jouent le jeu de la surenchère de détails et la course aux symboles imaginaires) qui plait à l’œil et plus particulièrement au mien. Le Conver est en quelque sorte à la croisée des chemins entre les jeux les plus récents et les jeux les plus anciens, pouvant allégrement s’assimiler tour à tour aux uns et aux autres, sans jamais souffrir de la comparaison. C’est une œuvre éternelle car rien ne la fait vieillir. Aujourd’hui encore, il suffit de voir la place du panel qu’elle occupe pour se rendre compte qu’elle fait un peu office d’autorité en la matière.

J’ai été surpris de découvrir dans une de vos dernières vidéos que vous utilisiez votre jeu amputé des noms et des nombres ! Qu’est-ce qui a motivé cette décision?

En effet, j’ai eu le désir récemment de retailler mon jeu de tarot, de lui « faire une coupe de cheveux » quelque peu radicale puisque je lui ai ôté les noms et les numéros. Ce que je constate, en tant que tarologue mais aussi en tant que formateur, est que l’esprit humain se rattache avant tout aux noms, aux nombres (et aux croyances qui en découlent, malheureusement) plus qu’à l’illustration elle-même. Comme cette dernière nécessite une observation et une interprétation, elle est moins accessible à notre esprit formé sur la base du langage. De fait, ôter les noms et numéros des cartes permet de retourner à l’essence même de ce qu’est le tarot : un jeu d’images.

Un jeu d’images certes, mais autant on pourrait déjà inclure aux Triomphes les cartes des Honneurs, que dire des numérales qui même si elles sont « plus à charge qu’à plaisir » restent encore souvent dans les boîtiers car on ne sait qu’en faire?

La difficulté est que les Triomphes, parfois appelés Arcanes Majeurs, dépeignent des tableaux de la vie courante, des emplois, des fonctions ou des scènes fantastiques au travers desquels il est suffisamment aisé de se projeter et donc d’extraire des interprétations et significations.

A l’extrême opposé se trouvent les Numérales, que l’on appelle parfois Arcanes Mineurs, et que l’on range – à tort ou à raison – dans la même catégorie que les Honneurs, et qui sont parfaitement abstraites, psychédéliques, et ne permettent pas – ou moins – le même type de projection possible avec les Majeurs/Triomphes.

Ainsi, face à la froideur et à la rudesse de ces cartes en lesquelles le néophyte n’arrive pas à se retrouver, il est souvent plus facile de les laisser au fond d’un tiroir en oubliant qu’elles peuvent servir également.

Puis, à mi-chemin entre les Triomphes et les Numérales, nous trouvons les Honneurs qui, habilement, mêlent un peu des qualités des deux, d’un côté les artefacts présentés dans les Numérales, de l’autre des personnages humains similaires aux Triomphes et auxquels nous pouvons aisément nous identifier.

A cette structure, il convient de rappeler que Majeurs (Triomphes) et Mineurs (Honneurs + Numérales) ont des origines différentes, pour se retrouver aujourd’hui compilés en un seul et même jeu. Si nous avons de fortes chances de penser que les Majeurs sont d’origine chinoise, nous avons également des soupçons relativement évidents que les Mineurs sont d’origine indienne et que ces deux familles bien distinctes d’un jeu de tarot n’avaient, à l’origine, rien à voir l’une avec l’autre, mais que les mixités culturelles et transferts de tradition ont brassé ensemble pour donner naissance au jeu que l’on connaît aujourd’hui.

De ce fait, il n’est pas surfait de se poser la question légitime – qui fera frémir les aficionados des Mineurs – qui est : les mineurs sont-ils réellement faits pour être « tirés » et « interprétés », au même titre que les Majeurs? A cette interrogation, chacun se forgera son avis car comme on dit : « les questions sont universelles, les réponses sont culturelles ». En cet adage, illustrons par l’exemple d’un tarologue débutant mis en face d’une voyante habituée au chien de pique : le premier sera naturellement rebuté par l’aspect des numérales, tandis que la seconde s’y retrouvera aisément et ne rechignera pas à se plonger dans l’abstraction de ces étranges illustrations.

Cela m’a remémoré un échange avec Enrique Enriquez et Camelia Elias au sujet des Tarots, notamment via celui des Visconti-Sforza, dont les cartes ne sont ni nommées ni numérotées.
La conclusion de cet échange, d’après leur point de vue, était que noms et nombres, dans le cadre d’une lecture, seraient inutiles.
En référence au livre « Le Château des destins croisés » d’Italo Calvino, voir les cartes suffirait à comprendre l’essence du message.

Je ne peux qu’être d’accord. Le Tarot, dans ses origines les plus anciennes, ne possédait pas de numéro. Tout au plus un nom (en réalité, un symbole chinois, puisque le tarot trouve ses origines dans la chine antique). De ce fait, les noms et numéros ne sont pas des nécessités. Le travail des imagiers (et maîtres cartiers) est justement de donner suffisamment de sens et de densité à une image pour qu’elle puisse se suffire à elle-même. Et une simple observation du travail des personnes œuvrant avec des tarots sans nom et sans numéro permet de comprendre qu’en effet, ces derniers ne sont pas nécessaires et qu’une consultation peut être tout aussi efficace, sinon plus, sans ses détails qui peuvent distraire.

Par ailleurs, des cartes sans têtes ni pieds ne ruine-t-il pas le style même dit « de Marseille »?

Il est vrai que le style « de Marseille » a pour chère tradition d’orner têtes et pieds de cartouches. Et pourtant, ce ne serait pas la première fois que ce genre de décision serait prise. Regardez le Mat, il ne possède pas de numéro. Pourtant, il a une place dans les Arcanes Majeurs. La Mort également est amputée d’une partie d’elle, puisqu’il lui manque son nom. Le Valet de Derniers également se trouve démuni de cartouche et voit son nom apposé sur le côté de la carte. Et l’intégralité des cartes dites numériques (de 1 à 10 dans les 4 familles) ne possède aucun cartouche, le numéro étant apposé sur les bords latéraux pour les Bâtons, Coupes et Epées, tandis que les Deniers n’ont même pas de numéro. Ce n’est donc pas une condition sine qua non à l’existence ni à l’efficience d’un tarot, même s’il est de notoriété publique qu’un tarot de Marseille présente sur certaines cartes des cartouches tantôt inférieurs, tantôt supérieurs, tantôt les deux à la fois.

Certes, la décision de retirer l’intégralité des cartouches était sans doute une décision un peu radicale, mais dans ma pratique même, je me sens à présent plus en adéquation avec ce que mon jeu est devenu. Et cela rend un peu grâce aux tarots des premiers temps qui ne possédaient aucun numéro. Cela évite également cette forte tentation de vouloir faire de la numérologie avec les cartes. A mon sens et selon mon observation et mon expérience (car oui, moi aussi j’ai tenté d’en faire), mélanger tarot et numérologie est presque aussi logique que de vouloir faire de la pâte à crêpe avec du ciment : ça n’a pas de sens.

Cependant, pas d’inquiétude, ce mauvais sort que j’ai jeté à mon jeu de tarot ne concerne que l’exemplaire que j’ai en ma possession. Je laisse la liberté à chacun de conserver les cartouches ou non… même si j’ai reçu de nombreuses questions de la part d’internautes qui souhaitaient savoir comment je m’y étais pris pour sectionner ces parties, afin d’en faire de même à leur tour.

Vous ne vous servez donc pas de la Langue des Oisons (ou des Oiseaux) à partir des noms des cartes?
D’ailleurs, ne pourrait-on s’y adonner à partir de l’image même des cartes?
Par exemple, dans la carte du Jugement, l’ange présente un drapeau, ou un « drap (fait de) peau »…
C’est un exemple simple, pour la forme, mais cet exercice pourrait-il avoir du sens ou ne relèverait-il pas davantage de la poésie, de la distraction voire de l’amusement?

Personnellement, je ne suis ni très familier, ni très adepte des jeux d’homophonie que peut faire naître le tarot, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, concernant les noms des cartes, beaucoup d’entre eux ont été d’une part considérablement altérés par le temps (les moules ayant servi aux impressions ne sont pas éternels et s’usent avec l’âge), et d’autre part suite aux variantes orthographiques et grammaticales infligées à notre langue. Rappelons que le Français a subi de nombreuses altérations et modifications de ses règles, pour être fixé une fois pour toute (ou presque !) au XIXe siècle, soit bien après la naissance du Tarot. A cela, nous avons donc assisté à l’apparition de prétendus « codes secrets » que les erreurs (volontaires, selon les adeptes de la théorie) dans la nomination des cartes révèleraient ce qui, évidemment, n’a pas grand sens et ne sert en rien la lecture du Tarot, mais promet néanmoins de belles heures à se gratter la tête à la recherche d’un graal tarologique (et pour avoir pris le temps d’en discuter avec certains chercheurs-tarologues, beaucoup sont encore persuadés de pouvoir un jour écrire un remake du Da Vinci Code, version Tarot de Marseille !)

Mais aussi, je ne pratique pas spécifiquement ce genre d’exercice de style car je considère, à mon sens et uniquement en accord avec mon expérience personnelle, cela va de soi, que ces jeux de mots peuvent être intéressants pour le poète, mais que dans l’aspect purement pratique de la tarologie, ils ne servent que peu (ou pas) la pertinence d’une lecture. Etant quelqu’un de globalement « pratico-pratique », j’aime ce qui sert, ce qui est utile à ma lecture et qui peut servir d’outil pédagogique pour mieux aider à faire passer le message. Si un jeu de mot peut le faire, j’en fais usage. Sinon, je laisse cela de côté, même si j’ai aimé, moi aussi, faire ces jeux de recherches linguistiques par le passé.

Ceci étant dit, je ne nie pas l’importance du nom des cartes et, lors de mes cours, j’enseigne évidemment sur de grandes cartes possédant cartouches supérieurs et inférieurs. Certains noms aident à comprendre le sens de certaines cartes par ailleurs. Sans l’intitulé de « Tempérance », il est certain que cette carte n’aurait jamais eu la signification qu’elle porte aujourd’hui. Ou encore, pour la « Roue de Fortune », il est toujours intéressant de noter d’une part la formule « de fortune » qui signifie dans notre langue « avec les moyens du bord », ou encore « fait de bric et de broc », tout en soulignant la présence d’un pied censé soutenir la roue se trouvant brisé en deux, sa moitié supérieure ayant disparu.

Dans l’une de vos vidéos (Discussion – Tarot et oracle) vous déclarez que le Tarot comprenait ‘vraisemblablement’ au départ de son existence, 80 cartes au lieu des 78 communément admises dont 24 Triomphes au lieu des 22 Arcanes diffusés aujourd’hui.

D’où tenez-vous cette information que je n’ai jamais lue nulle part et que pourriez-vous nous dire de plus à ce sujet?

Bien qu’incroyablement bien étayée et accréditée, cette théorie reste encore hypothétique (et elle le sera sans doute à jamais). Mais en effet, c’est ce que l’on peut en déduire suite à des preuves retrouvées en Chine où, vraisemblablement, les équivalents des Arcanes Majeurs seraient nés. A partir du VIIe siècle et jusqu’au début des années 1900, dans les milieux militaires ou de justice, les nouveaux promus avaient pour coutume d’offrir à leurs amis une collection de 24 gravures imprimées sur du papier rouge. Chaque image comportait un idéogramme et une illustration représentant généralement un grand sage (Confucius ou Bouddha par exemple) dans une situation qui mettait en scène l’idéogramme associé. Plusieurs jeux complets de ces images avaient été conservés à l’Institut des arts populaires du Chengdu jusque dans les années 60. Mais suite à la Révolution culturelle, ces jeux ont disparu, soit volés, soit détruits. Il ne nous reste que quelques rares images gardées par des collectionneurs privés à ce jour.

Ainsi, ce système de 24 cartes peut largement être rapproché du Tarot de Marseille en cela que les archétypes des ces images chinoises sont similaires en tout point avec nos archétypes actuels. Ainsi, nous retrouvons la Lune, le Soleil, l’Etoile, mais aussi la Justice, la Force, la Roue, le Pendu et ainsi de suite.

Cette structure en 24 est d’ailleurs bien plus logique qu’une structure en 22. Nous avons 24 heures dans un jour complet, 24 cycles dans une année solaire chinoise, 24 pièces dans le jeu de runes et donc autant de lettres dans son alphabet, 24 demeures héliaques (que Côme Ruggieri, astrologue de Catherine de Médicis, a par ailleurs incroyablement bien décrites et qui corroborent complètement une structure du Tarot en 24 arcanes et non 22), notre alphabet compte à l’origine 24 signes et non 26 (le I et le J ont été divisés tardivement, de même que le U et le W), et je ne m’étendrais pas davantage sur le profond symbolisme du chiffre 24 à lui tout seul.

J’ai bien conscience que cela puisse faire bondir beaucoup de praticiens et déranger quelques croyances. J’imagine à peine ce que peuvent en penser les adeptes de l’analogie entre les arcanes du tarot et les lettres de l’alphabet hébraïque (souffrant là aussi d’une interprétation tellement capillotractées pour faire concorder lettres, symbolisme et arcanes que je ne m’étendrais pas dessus…) Je donne davantage de détails lors des cours que je dispense, car nous prenons le temps d’analyser le symbolisme des cartes au regard de son équivalent chinois, ce qui densifie son interprétation.

Je n’ai pas compris ce qui distingue véritablement ce que vous appelez la Tarologie Humaniste des autres pratiques du Tarot.
Quels en sont les atouts, les différences majeures?

Pour comprendre, c’est très simple. Prenez une personne dans la rue et demandez-lui ce que – selon elle – peut bien faire quelqu’un qui tient un jeu de tarot de Marseille dans les mains. On vous répondra invariablement qu’il tire les cartes pour lire l’avenir. La croyance populaire veut que les cartes servent à voir le futur et il est difficile aujourd’hui aux gens d’intégrer l’idée que ce jeu puisse servir à autre chose d’autre.

Ce que j’appelle Tarologie Humaniste n’est qu’un nom générique pour déterminer un usage différent du Tarot. Parfois, on appelle cet usage « tarot psychologique » ou « coaching tarologique », des noms qui, pour moi, n’ont pas (ou plus) tout à fait le sens que je souhaitais leur donner, car ma pratique dépasse le cadre de simplement tirer les cartes.

Ce que je fais en consultation est bien entendu de recevoir les questions que l’on me donne. Or, ces questions sont souvent tournées vers l’avenir, laisse le consultant passif de sa vie, et parfois concernent d’autres personnes que lui-même. Mon travail sera de recadrer ces questions pour qu’elles soient ancrées dans le présent, qu’elles concernent directement le consultant et qu’elles puissent lui donner la possibilité d’être acteur de sa vie, et non plus simple spectateur. Alors, on travaille ensemble dans ce qu’il vit ici et maintenant, dans son présent, et non plus dans l’hypothétique crainte de voir dans l’avenir ce qu’il ne faudrait surtout pas qu’il arrive… Ainsi, plutôt que de dire ce qui risque d’arriver, le tarot va surtout dire ce que l’on peut faire pour que ce que l’on souhaite voir arriver… arrive ! De nombreux tirages nous aident à éclaircir notre vie, notre présent, nos forces, nos faiblesses, notre état actuel, les raisons de cet état, nos besoins, nos envies, etc. C’est un travail d’introspection, mais loin des prises de tête psychanalytiques. Tout se fait dans la simplicité d’un langage en images.

Mais la Tarologie Humaniste, c’est aussi un autre aspect de ma pratique. Généralement, lors d’une consultation, on s’attend en tant que consultant à devoir tirer les cartes, ou à voir le tarologue le faire pour nous, et laisser le « hasard » nous dire notre vie. Or, il m’arrive également de faire l’inverse en consultation, de simplement écouter le consultant me parler de lui et de sa vie, d’écouter ses problèmes, interrogations et dilemme, puis d’illustrer son histoire avec les cartes du tarot en fonction des éléments que son récit m’apporte, puis de demander au consultant de faire parler les cartes. En effet, nous sommes des êtres profondément visuels. On constate en PNL qu’une majorité de la population est infiniment plus attentive aux images qu’aux sons ou sensations, et que seule une minorité de la population favorisera ces deux canaux de réception à celui du visuel. Ainsi, voir des cartes représenter notre vie et les faire parler permet de conscientiser, en modélisant à l’extérieur de nous, une situation vécue comme problématique, et ainsi de s’en détacher, de ne plus en être affecté. Cela fait partie de ma pratique de Tarologie Humaniste.

D’autres aspects de la Tarologie Humaniste entrent en jeu, mais je ne détaillerais pas davantage car cela risquerait d’être très long 🙂

Bien qu’aujourd’hui je pense que posséder un Tarot ne contraint nullement à le manipuler pour le soumettre à la question, que pourriez-vous conseiller aux nombreux débutants qui se posent tous les mêmes questions: quel jeu choisir, quelle méthode utiliser, que penser des rituels décrits dans les livres (coupe de la main gauche, imprégnation du jeu au clair de lune,…); bref, comment éviter de tomber dans la superstition et entrer activement dans la pratique, même seul?

La difficulté avec cette interrogation est que certaines personnes ont besoin de superstitions, de rites, d’habitudes, de croyances, de magie à faire entrer dans leur pratique du tarot pour se convaincre de son efficience. Pour ma part, lorsque j’enseigne, j’explique à chaque cours, de manière rationnelle et scientifique, les différents éléments à notre portée aujourd’hui pour comprendre le phénomène de « voyance » comme étant un phénomène parfaitement naturel et qui ne requiert aucunement de superstition, simplement d’être dans une zone de « confort » personnel. Or, pour certains praticiens, le confort passe parfois par la superstition.

Ceci étant, je crois que si je devais dire quelque chose à tout débutant désireux d’aborder la tarologie sainement, ce serait la chose suivante : ne croyez jamais rien ni personne ! Expérimentez et vérifiez. Et surtout, si on vous dit de faire quelque chose, mais que cela n’est ni vérifiable/vérifié, ni appuyé ou accrédité par des faits et des observations, mettez cela de côté. Brasser ses cartes sept fois, ne jamais tirer le dimanche, nettoyer son jeu en l’exposant à la pleine lune, le ranger dans une pochette en soie violette, faire brûler de l’encens avant de tirer les cartes, et j’en passe, toutes ces pratiques sont, à ce jour et jusqu’à nouvel ordre, que de simples moyens pour convaincre l’utilisateur qu’il confère ainsi des vertus prétendument magiques à son outil, mais cela ne reste définitivement que de la croyance et en aucun cas des faits.

La seule « tradition » que l’on pourrait presque réhabiliter et celle de l’usage de la main gauche pour une simple raison : la dichotomie cérébrale. Hémisphère droit et hémisphère gauche ont tous deux des fonctions spécifiques, mais aussi des manières d’agir très différentes. Chez le droitier, le cerveau gauche contrôle la partie droite du corps, tandis que le cerveau droit contrôle la partie gauche du corps. Au regard de ce fait, on constate que le cerveau gauche est très rationnel, logique, rangé dans sa manière de fonctionner, et que le cerveau droit tend à être basé sur le ressenti, l’abstrait, le « feeling » tout simplement. Pour certaines personnes ayant tendance à « trop penser », à se prendre la tête et à avoir peur de mal faire les choses, il peut être intéressant de laisser aller ainsi son cerveau droit intuitif en utilisant la main gauche.

Le problème est que cela ne vaut que pour les droitiers, car pour les gauchers, ce phénomène est le même mais en inversé (c’est-à-dire que le cerveau rationnel est le droit, et l’intuitif le gauche). Il serait alors tentant de proposer aux gauchers de tirer de la main droite… sauf que le « circuit croisé » observé chez les droitiers (main droite = cerveau gauche, main gauche = cerveau droit) n’est présent que chez certains gauchers, tandis que chez d’autres, le circuit est rectiligne (main droite = cerveau droit, main gauche = cerveau gauche) ce qui fait qu’il serait alors impossible de diriger correctement un gaucher sans lui avoir découpé le cerveau pour voir comment cela fonctionne à l’intérieur !

Nonobstant ce problème de calibrage droite/gauche, cette pratique de tirer de la main gauche reste néanmoins qu’un simple moyen, une béquille, pour aider la personne en demande de rites simples pour la détendre, de faire ses premiers tirages avec moins de pression. Mais je pense vraiment qu’il est important de s’en détacher très vite pour se laisser aller à la tarologie en toute simplicité. Ce n’est pas en étant esclave de traditions que l’on peut jouir d’une liberté totale. J’ai quelques proches qui se trouvent toujours gênés à l’idée de tirer alors qu’ils n’ont pas pu au préalable nettoyer leur tarot dans une fumée d’encens, ou simplement parce qu’ils n’ont pas leur améthyste ou leur quartz sur eux. Heureusement que le tarot n’a pas besoin de tout cela pour fonctionner…

De même pour les personnes persuadées que laisser leur jeu se faire manipuler par quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes risquerait de polluer leurs cartes, je voudrais vraiment les inviter à faire des recherches sur le sujet pour se rendre compte que cette croyance ne repose sur aucun fondement (autres que les nombreuses approximations et billevesées qui polluent le monde du New Age…) et que ce qui compte n’est pas une prétendue énergie autour du tarot, mais simplement l’énergie (au sens abstrait du terme) que eux-mêmes vont impliquer dans leur pratique.

En ce qui concerne le choix d’un jeu et d’une méthode, la règle est simple. Concernant les jeux, prenez-en un dont la graphie vous plait d’une part, et vous permet une amplitude d’interprétation suffisamment grande d’autre part. Beaucoup de jeux sont souvent trop orientés, le sens des cartes étant très littéral et ne permettant pas de digression dans les significations. Le lecteur est alors cantonné à une forme de « dictature de l’interprétation » dans laquelle telle carte veut dire telle chose et rien d’autre.

De même au niveau de la méthode : une méthode peut être sérieuse et carrée, si vous ne vous sentez pas à l’aise, trop encadré et manquant de liberté, c’est qu’elle ne vous convient pas. A ce titre-là, je me fais toujours le pourfendeur des superstitions absconses mais j’aurais souhaité rappeler simplement la chose suivante : qu’une carte soit à l’endroit ou à l’envers dans un tirage, son illustration ne change pas, et donc son message non plus. Le manichéisme systématique que l’on observe dans la quasi-totalité des méthodes ou une carte à l’endroit signifie telle chose, et à l’envers son parfait contraire, n’a encore une fois – au regard des sciences actuelles mais aussi de l’empirisme – aucun fondement et ne donne par conséquent aucun résultat.

De temps à autre, j’ai plaisir à aller me balader sur certains forums de tarologie, des plus réputés aux plus humbles, et je constate invariablement le phénomène suivant : les débutants sont souvent plus pertinents dans leurs interprétations que les lecteurs chevronnés. La simplicité fait-elle l’efficacité ? Je vais finir par le croire…

Enfin, je crois qu’il est bon de savoir où l’on met les pieds afin de vérifier si le « produit » proposé est en accord avec nos attentes. Si vous désirez faire du tarot psychologique, apprendre à lire l’avenir ne servira à rien. Tandis que si vous voulez voir le futur, pas la peine de faire une formation de coach tarologique, cela vous frustrerait. La difficulté à ce jour est que la quasi-totalité des praticiens se disent « tarologue » (ce qui, dans son sens premier, signifie « celui qui étudie les tarots ») plutôt que « taromancien » (« celui qui lit l’avenir dans les tarots »), terme qui conviendrait davantage à leur pratique et que, par conséquent, élèves comme consultants ne savent plus vers qui se tourner pour être sûr de trouver ce qu’ils cherchent.

Le Tarot en tant que miroir de soi me fait penser à cette histoire où le protagoniste n’a de cesse de frotter un miroir dans lequel il voit son visage sale alors que c’est son visage qui demande à être nettoyé.
Comment être certain d’effectuer efficacement et proprement l’observation du Tarot?

Il faudrait déjà donner une définition à « efficacement » et « proprement », car ce que vous faites de manière propre et efficace pour vous peut paraître incorrect et inutile pour quelqu’un d’autre. Comme le dit le dicton, il n’y a pas de vérité, il n’y a que des vérités. Chacun a sa propre vérité. Et le message qui apparaît pour une personne, à un moment donné, face à une conjonction de cartes particulière, ce sera SA vérité, et elle sera vraie pour elle car ce sera la sienne.

Selon moi, le tarot est un miroir, certes, mais un miroir brisé. Il n’est pas lisse comme un miroir neuf, au contraire. C’est un miroir qui a pris un coup en son centre, fragmentant sa surface en de nombreuses « lames ». Ces morceaux de miroir vont alors soit nous refléter et nous nous reconnaîtrons dedans, soit nous montrer une image tellement déformée que nous aurons du mal à savoir ce qu’elle renvoie comme reflet. Mais là encore, ces éléments restent des éléments de miroir qu’il convient d’interpréter.

Il y a quelques années, alors que je coachais mes premières tarologues, l’une d’entre elles butait sur la signification de plusieurs cartes dont elle n’arrivait jamais à donner le sens, bien qu’elle pratiquait déjà depuis des années. Ces cartes étaient la XIII, le Diable et la Lune. Je lui demandais alors ce qu’elle voyait en ces cartes. « Rien » me répondait-elle. Je lui demandais alors ce que montraient ces cartes. « Il ne se passe rien » me répondait-elle encore. Etrange formule… Je la questionnais alors sur les points communs à ces trois cartes car, après tout, même si elle ne savait pas en donner le sens, elle pouvait au moins observer ce qui les rapprochait. « Elles sont toutes les trois des cartes nocturnes ». Ah, l’interprétation subjective de la personne lui a alors fait voir un paysage nocturne dans ces cartes (alors que rien ne le laisse croire, le Diable peut être très éclairé, la XIII peut se faire en plein jour et la Lune peut représenter une éclipse). Je lui demandais alors dans sa vie ce qu’il se passait la nuit… Explosion d’émotions soudaine, m’annonçant en une logorrhée interminable qu’elle et son mari se tournaient le dos, ne se parlaient plus, ne dormaient plus ensemble, ne s’étaient plus touchés depuis des mois, et ainsi de suite durant trois bons quarts d’heure. Dans son vécu, dans « sa vérité », elle était l’objet d’une situation qu’elle retrouvait alors dans ces cartes qui lui paraissaient obscures et où il « ne se passait rien ». Un tarologue manquant de professionnalisme l’aurait sans doute corrigée en lui assénant une fois encore des mots-clefs et interprétation qui ne lui auraient toujours pas parlé. Tandis que dans le cas présent, le simple fait de la faire parler sur ce qu’elle vivait dans ces cartes, plutôt que sur des significations supposées, a permis de faire éclater au grand jour une vérité qui n’était « propre et efficace » que pour elle, mais qui était SA vérité.

C’est ainsi que le Tarot agit comme un miroir, et non pas en disant à autrui ce que le tarologue est persuadé de voir et qui, peut-être, ne collera pas avec la vie du consultant. J’ai vu en action tellement de tarologues affirmer des projections et insister sur leur interprétation alors que le consultant dépité ne s’y retrouvait absolument pas… C’est une erreur professionnelle très grave, à mon sens.

Vous définissez vous-même parfaitement ce que j’entendais par « propre et efficace », c’est-à-dire: sans projections!
Comment surmonter, au-delà d’une constante vigilance, cette pierre d’achoppement?

Je crains que cela ne soit pas possible, sauf si vous faites un tirage à l’aveugle, c’est-à-dire que vous ne savez pas pour qui vous tirez, ni la question à laquelle vous répondez. Ainsi, vous évitez de faire des projections sur le consultant et sa problématique. Cependant, vous interpréterez toujours les cartes au travers du filtre de vos appréciations personnelles, de ce que vous en avez appris, de votre histoire, de votre culture et donc de votre identité. C’est inéluctable.

Cependant, ce qu’il est possible de faire est de prendre conscience de ce que j’appelle nos « scotomes d’interprétation », c’est-à-dire nos lacunes/difficultés à voir certaines parties d’une carte, notre manie à occulter des détails ou simplement à faire l’impasse sur certaines interprétations possibles. Personnellement, quand un de mes élèves tombe dans un cas sévère de scotomisation visuelle, nous prenons ensemble le temps de corriger cela en inversant la polarité de l’interprétation qu’il a de la carte. Par exemple, une personne ne voyant une carte que sous un œil pessimiste sera invitée alors à imaginer la carte mise en scène dans une situation comique, afin d’ancrer dans son esprit la possibilité pour cette carte d’apparaître autrement qu’en message négatif.

Ceci étant, je crois qu’il est difficile – pour ne pas dire impossible – de sortir des projections et, en un sens, peut-être est-ce là aussi le secret d’une consultation réussie, du moins en un sens. En effet, en étudiant le phénomène de voyance (j’entends par voyance le fait de « voir » des choses, qu’elles soient passées, présentes ou à venir), nous constatons aujourd’hui que notre cerveau fait appel non pas à notre imagination pour interpréter un message, mais bien à notre mémoire. Notre corps et notre cerveau enregistrent tous deux, depuis notre plus tendre enfance, l’intégralité de ce qui est vu, ressenti, humé, goûté et entendu. Toutes ces informations forment une sorte d’immense bibliothèque mémorielle dans laquelle nous allons inconsciemment piocher pour composer ensuite un message sensoriel inédit qui donnera le message que nous avons à transmettre. Ainsi, si lors d’une consultation vous avez envie de parler de la grand-mère de la consultante, sans doute est-ce parce que l’image fugitive de votre propre grand-mère vous aura traversé l’esprit pendant une fraction de seconde, vous imprégnant de manière quasi subliminale du besoin de parler de la fonction de grand-mère !

De ce fait, sans doute que l’absence de projection n’est pas la clef de la réussite. Je parlerais davantage de neutralité ou d’impartialité.

Je me suis interrogé sur les oracles qui majoritairement ne semblent destinés qu’aux couples homme-femme.

Rares sont à ma connaissance les jeux exprimant explicitement d’autres possibilités, d’autres libertés de couples.
Pour ne pas dire que ces jeux sont aujourd’hui obsolètes, je les laisse de côté pour vous demander si le Tarot permet quant à lui ces libertés ou faut-il les chercher parmi les cartes, voire les inventer?

Vous voulez parler de la possibilité d’apparaître en tant que couple homosexuel dans un tirage ? Si tel est le cas, je vous rassure, le Tarot de Marseille fonctionne extrêmement bien sur ce point. J’ai eu il y a quelques mois encore la visite d’une femme sur le point de divorcer qui s’inquiétait de son futur amoureux. Elle apparaissait en Papesse… face à une Impératrice. Sourire en coin et clin d’œil discret, elle m’avoua finalement qu’elle venait de tomber amoureuse d’une femme et que toutes deux allaient s’installer ensemble une fois le divorce prononcé.

J’y pensais bien, mais j’étendrais néanmoins le spectre des éventualités, la vie étant tout de même plus complexe que ces deux options là.
Ca me pousse à vous demander s’il est correct de croire que plus on a de l’expérience de la vie, plus on est ouvert à un large champ de possibles et plus on aura de chances de percevoir des potentialités ou ce n’est le gage de rien?
Le Tarot n’est-il pas somme toute délimité par le regard qui l’observe?

Le Tarot n’est jamais que le reflet de l’esprit de celui qui l’observe 🙂 Du moins c’est l’avis que je partage volontiers. De ce fait, oui, je pense que plus notre esprit est ouvert à capter certaines éventualités, plus nous y sommes réceptifs et donc sensibles. A cela, je rappelle ce que j’ai mentionné précédemment concernant le phénomène de voyance qui puise ses réponses dans notre mémoire. On ne peut parler que de ce qu’on connaît, ce qu’on a laissé entrer en nous, que l’on a appris ou découvert. Comment pourriez-vous voir dans le Diable un androgyne si vous ne savez même pas que cela existe ?

Est-il opportun de demander au Tarot si l’on va vendre sa maison, réussir ses études ou trouver l’amour?
Ces trivialités cacheraient-elles autre chose de plus profond qu’il conviendrait de mettre à jour ou d’autres questions, plus pertinentes, peuvent être soumises à ces images auxquelles nous donnons vie en les faisant parler?

C’est en cela que réside l’essence même de mon travail : révéler pleinement à chacun de mes clients la différence tragique qu’il existe entre envie et besoin, et que seule la quête de ce dernier nous mène au bonheur, tandis que la course au premier nous conduit aux sempiternelles interrogations et à l’insatiable appétit d’avoir toujours plus.

Il faut bien comprendre que si nous sommes victimes d’une seule et unique chose en ce monde, c’est de notre éducation. Notre culture occidentale fait de nous des consommateurs attachés au contentement des envies, plutôt qu’un observateur à l’écoute de ses besoins. Nombre de mes clients vivent un véritable éveil au moment où le Tarot pointe du doigt la réalité de leurs besoins, et le fait que l’envie qu’ils cherchent à réaliser ne les aidera pas à se sentir en paix. Je pense que le tarot est efficace dans une tâche comme dans l’autre… mais que seule une de ces deux voies nous permettra vraiment d’être pleinement heureux et comblé.

Relevé le 17 Juillet 2014