Dans le reflet du Bateleur

LE BATELEUR (extrait de l’ouvrage “Tarot Miroir” à paraître)
Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas.” – Lao-Tseu.
Bien entendu, le fondement de cette citation nous semble évident. Il serait ridicule de croire qu’un chemin ne se résume qu’à son point d’arrivée. Nous savons pertinemment qu’entre notre borne de départ et notre borne de fin, nous avons le temps de compter les kilomètres et les péripéties qui les séparent l’une de l’autre. Nous savons également que rien ne garantit la platitude du chemin, la clémence du climat ou le calme du destin et de ses aléas. Nos croyances et nos craintes vont alors ébranler la base la plus essentielle du genre humain : le besoin existentiel de se sentir en sécurité.

Se mettre en danger peut être le point de départ de tout un système de réactions en chaîne nous poussant à nous dépasser et à devenir plus fort, à nous réinventer sans cesse en faisant preuve d’ingéniosité afin de mieux nous adapter à l’inconfort permanent du sol que l’on foule. Comment espérer trouver la paix intérieure et la tranquillité physique si nous n’estimons pas nécessaire de nous démener pour améliorer notre situation ? Toute initiation réclame de traverser l’inconfort afin de mieux le comparer au résultat obtenu une fois le chemin parcouru. Et pourtant, même si cela va de soi, nous n’avons pas toujours les moyens de nous y confronter.

Lorsque nous traversons l’énergie du Bateleur mais que nous en souffrons parce que nous n’arrivons pas à nous y harmoniser, nous passons alors par cette étape de prise de conscience des manques en nous, propres au Bateleur “Reflet“. Nous nous apprêtons à passer à l’action et nous avons envie de nous lancer. Mais nous constatons tous les outils que nous n’avons pas à notre portée pour nous sentir compétents. Nous doutons de nos talents et nous sommes persuadés que la moindre tentative de réalisation se soldera immanquablement par un échec cuisant.

Cependant, cela n’est pas toujours la réalité des faits et ce constat n’est bien souvent qu’une impression suggérée par notre mental en quête incessante d’absolue perfection. Cette impression créé une scission entre la vérité tangible et le vécu que nous en avons, filtrant notre perception et teintant cette dernière de sensations désagréables, de résurgence de vieux conditionnements socioculturels, de croyances limitatives et de pensées négatives. Tout cela dans un seul et unique but : nous faire prendre conscience de l’insécurité dans laquelle nous croyons nous trouver. Evidemment, il est indispensable de préciser que cette insécurité est toute relative car elle ne dépend que des bagages de chacun, mais elle tendra à nous mettre en alerte afin de veiller à notre bien-être et notre propre défense et survie.

Un enfant qui progresserait maladroitement en équilibre sur un mince mur de briques nous paraîtrait relativement moins en sécurité que si c’était un adulte qui se prêtait à ce jeu de funambule. Ce n’est donc pas la réalité des faits (marcher sur un mur) qui rend la situation sécuritaire ou non, mais plutôt les bagages intérieurs avec lesquels nous composons en temps réel afin de nous assurer pérennité et sécurité, tout ceci dans le but évident de rester en vie !

Ce sentiment d’insécurité est celui qui apparaît lorsque nous entrons en conflit avec l’énergie du Bateleur et que nous le vivons alors sous son aspect de “Reflet“. Cette énergie d’excitation et de dynamisation qui nous motiverait si nous l’acceptions avec bon cœur se transforme alors en autant de boulets à nos pieds, de chaînes à nos mains, de peurs dans nos yeux et du refus même d’essayer de nous lancer. Le peu de moyens que nous avons alors à notre disposition en vient à fondre comme neige au soleil, notre courage semble n’avoir jamais existé et ne reste plus qu’un profond mutisme au fond de notre gorge qui ne sait plus articuler la moindre raison censée afin d’expliquer notre réaction.

Si l’on vous pose la question de savoir à quelle occasion il vous est dernièrement arrivé de traverser cette énergie du Bateleur “Reflet“, vous ne trouveriez sans nul doute comme témoignage que quelques rares épisodes de votre vie au cours desquels vous expliqueriez que vous avez eu très peur au point d’en rester pétrifié. Cependant, ce ne serait pas vrai. En réalité, le prisme du Bateleur en reflet est bien plus large et se distille en de nombreuses nuances, des plus simples, évidentes et quotidiennes, aux plus choquantes et limitatives.

À chaque fois que vous lambinez sur le canapé au lieu de vous mettre au travail, c’est que vous traversez cette énergie du Bateleur à l’envers. A chaque fois que vous prenez tacitement la décision de procrastiner grassement et de repousser ad vitam l’échéance de vos tâches à assumer, c’est encore ce Bateleur à l’envers. Lorsque vous vous sentez faible physiquement pour accomplir une tâche et que vous déléguez à autrui ou refusez de le faire sans recevoir un coup de main, c’est encore ce Bateleur. Et n’oublions pas toutes les fois où vous jugez spontanément que vous n’avez pas envie de faire quelque chose et que, de toute façon, vous n’y arriverez pas parce que vous ne savez pas le faire et que ça ne sert à rien d’essayer… eh oui, c’est encore le Bateleur !

Lors des premiers pas qui nous mèneront à effectuer ce voyage de mille lieues, nous boitons, nous trébuchons, nous progressons poussivement et maladroitement, nous hésitons sur la démarche à adopter pour être confortables, mais aussi nous avons mal aux pieds, nous nous plaignons et nous nous sentons fatigués. Cela est légitime ! Il n’est pas question de faire comme si de rien n’était. Nier un problème n’a jamais fait disparaître ledit problème. Cela ne fait que nous confronter plus violemment encore à la dure réalité à chaque fois que le caillou au fond de notre chaussure trouée se rappelle à notre bon souvenir.

Nous n’avons, dans pareil cas, aucune autre possibilité que d’observer la situation, concrètement, pragmatiquement, afin de mieux la corriger, car seule la correction de nos manques et de nos doutes peut nous permettre d’avancer, d’évoluer et d’embrasser l’énergie positive du Bateleur “Original” qui nous mènera jusqu’au bout de notre chemin et de nous-mêmes. Dans le cas contraire, aucune évolution n’est envisageable et nous restons figés à jamais dans les projections craintives du Bateleur “Reflet“.

En effet, voici le piège de cette carte : l’immobilisation, celle qui nous terrifie sur place, nous fige tous les membres et nous glace le sang, et qui n’est autre que les émotions transportées par le Bateleur en “Reflet“. Nous ne savons pas si nous serons capables de réussir notre entreprise. Nous ignorons si nos forces seront suffisantes pour mener à bien notre action. Nous amplifions intérieurement les faiblesses que nous croyons être suffisantes pour signer une cuisante défaite. Et ainsi se joue la crainte du Bateleur “Reflet“. Plutôt que de tenter le coup, nous renonçons. Nous nous trouvons bien souvent des excuses par ailleurs afin de justifier notre défaite à demi avouée. Nous prétextons, nous mentons, nous dissimulons, tout ce qu’un Bateleur sait faire. Et pour la simple raison que nous sommes bien incapables d’avouer que nous avons juste la crainte de nous rater !

Le passage de l’énergie négative à l’énergie positive du Bateleur se trouve dans ces deux seules astuces :

  • La première, considérer qu’il n’y a pas d’échec, simplement un retour, un “feed-back” qui nous permettra de compiler de nouveaux éléments d’expérience (Thomas Edison se serait exclamé, après cent tentatives à concevoir une ampoule électrique, qu’il aurait simplement découvert quatre-vingt-dix-neuf manières de créer quelque chose qui n’est pas une ampoule électrique… L’art de voir le verre à moitié plein !)
  • La seconde, accepter ce que nous considérons être des faiblesses, les observer et les analyser précisément afin de voir leur véritable nature, puis demander à quelqu’un de compétent de nous aider ou à les corriger, ou simplement à nous accompagner dans notre démarche que nous ne réussirions pas seul, mais qui pourrait se révéler fructueuse en présence d’une aide à nos côtés.

Extrait de “Tarot Miroir“, à paraître.